"Le Musée imaginaire de Jean-Pierre Jeunet
Que du cinéma
par Eric Libiot
Parler peinture, littérature, cuisine? Le réalisateur de Delicatessen, d'Amélie..., d'Un long dimanche de fiançailles revient toujours à sa passion: le 7e art
Le plaisir et l'obsession. Quoi qu'on fasse, Jean-Pierre Jeunet revient toujours au cinéma. Par la fenêtre, par la porte, par une phrase ou par une digression. L'oeil s'allume, le débit s'accélère, Delicatessen au siècle dernier, Amélie hier, Mathilde aujourd'hui, visiblement le réalisateur attendu d'Un long dimanche de fiançailles adore ça. Ça: les histoires, les images, les «il était une fois», les comédiens. Et tout ce qui s'y rattache.
«J'ai connu le succès mondial et absolu [là, il fait sûrement référence au Fabuleux Destin d'Amélie Poulain], et je pense que je ne le rencontrerai plus jamais. Mais je l'aurai au moins vécu une fois dans ma carrière, c'est bien.» Une façon de désamorcer en souriant l'angoisse qui l'habite à quelques jours de la sortie de son nouveau long-métrage, adaptation d'un magnifique roman de Sébastien Japrisot qui raconte comment Mathilde, persuadée que son fiancé n'est pas mort dans les tranchées un jour de janvier 1917, comme les autorités militaires l'affirment, dénoue un à un les fils de la vérité.
Et, puisque Jean-Pierre Jeunet ne parle que de cinéma, on a décidé d'aborder avec lui la peinture, la bande dessinée et la littérature, à travers son musée imaginaire.
Mais, pas de chance, il parle encore de cinéma. On vous avait prévenus.
La peinture
Cela n'étonnera sans doute personne, Jean-Pierre Jeunet préfère le figuratif. «Je ne comprends rien à l'art abstrait. Je crois beaucoup à la vertu du travail et là, je flaire un peu trop les arnaques. Je peux comprendre, chez un artiste, la logique d'une réflexion qui le pousse à peindre un tableau tout blanc, mais j'ai aussi l'impression que ce type de réflexions, justement, peut rapidement partir en sucette et amener l'artiste à ne plus avoir les pieds sur terre. Aimer le figuratif, pour moi, c'est aimer les histoires. L'essentiel, ce sont les péripéties, les personnages et les sentiments. Après, seulement, vient l'esthétique. On s'est planté sur La Cité des enfants perdus, car l'esthétique était le point de départ du film. Je ne ferai plus jamais cette erreur.»
Si l'on pouvait revenir à la peinture... «J'ai un coup de cœur pour Machado, un peintre brésilien dont j'avais vu les reproductions dans un livre. Il a un tel sens des couleurs et du mouvement qu'il m'a servi de référence pour Amélie. J'ai remis ça avec Mathilde [il faut s'y faire, Jeunet résume le titre Un long dimanche de fiançailles en Mathilde]. Certains de ses tableaux ont un aspect sépia qui aide à bien comprendre qu'on est dans un film un peu historique.»
Une bande dessinée
«Tardi, depuis ses débuts. Nous avons la même passion pour l'Histoire. [Nous voilà donc ailleurs.] Je peux imaginer qu'il soit triste de ne pas avoir travaillé sur ce film. [L'évasion a été de courte durée...] Il aurait voulu qu'on écrive un scénario original sur la guerre de 14-18, moi je voulais le bouquin et, en plus, je crois que Japrisot n'aimait pas beaucoup Tardi.»
«J'aurais pu lui demander de dessiner l'affiche, mais je sais qu'il l'aurait orientée vers la guerre. Or le film est avant tout l'histoire de l'obstination de cette jeune fille. J'aime ce côté catcheuse et gladiateurs, apporté par l'affiche. C'est vrai, le visuel ressemble à celui du péplum de Ridley Scott, mais on s'en est aperçu une fois que tout était fini.»
Un écrivain
Jacques Prévert. Je ne m'en lasse jamais. Quand je relis un de ses bouquins, j'ai les larmes aux yeux. Ça marche à tous les coups. J'aime le regard qu'il porte sur les choses. Un artiste doit posséder un point de vue et la reproduction de la réalité m'emmerde. Quand Prévert raconte un couple qui s'embrasse ou un môme qui n'écoute pas à l'école, c'est un feu d'artifice.»
«Moi, je fais des inventaires à la Prévert? Non, j'établis des listes et je m'en sers dans mon travail. [Le lecteur attentif aura remarqué un subtil glissement vers le cinéma.] J'ai lu un jour une critique d'Amélie que j'ai adorée, même si le journaliste avait voulu être méchant. Il écrivait qu'il n'y avait pas de scénario et que c'était un film «ramasse-miettes». C'est un magnifique compliment. Certains prennent des photos dans la rue, moi je note ce que d'autres ne voient pas et je constitue ainsi une collection de moments précieux, des petits trucs qu'on retrouve aussi dans Mathilde.»
Un metteur en scène
Là, évidemment... «Je dirais bien Marcel Carné. Je ne suis pas sûr qu'humainement ce soit un type très bien, mais son style a toujours été sous-estimé. Tout le monde parle de Jean Renoir, alors que, visuellement, il n'arrive pas à la cheville de Carné. Quand on évoque ses films, on cite bien sûr Trauner et Prévert. Sauf que le cinéma, c'est aussi savoir s'entourer de collaborateurs. Sinon, il y a Fellini, qu'on a tendance à oublier en ce moment.»
Un film
Là, évidemment... «Il y a d'abord ceux qui ont marqué mon adolescence. Ils sont deux: Il était une fois dans l'Ouest et Orange mécanique. J'ai vu 14 fois en salle le film de Kubrick. Aujourd'hui, je trouve qu'il a un peu vieilli. Mais quand même...»
«Ensuite, ceux que l'on apprécie dès qu'on possède un peu de références, comme Citizen Kane ou La Nuit du chasseur. Enfin il y a les chocs plus récents, comme La Leçon de piano ou La Cité de Dieu [de Fernando Meirelles, sur la destinée de trois gamins des rues au Brésil dans les années 1960]. Ce film va avoir une grande influence sur beaucoup de metteurs en scène: une narration éclatée et parfaitement maîtrisée, une grande liberté dans le récit, un extraordinaire travail avec les comédiens. Maintenant que je suis sorti de Mathilde, qui nécessitait une très grosse machinerie, j'ai envie de revenir à un long-métrage avec une image toujours belle mais plus trash, caméra à l'épaule, tournage rapide.»
Un plat cuisiné
Et là? «A chaque fois que je vais voir ma mère à Roanne, nous allons chez Michel Troisgros, devenu un ami. C'est du grand art. J'adore ses petites tomates caramélisées servies avec quelques graines de sésame. Ce qui me stupéfie, ce sont les différents niveaux de goûts. Quand je mange un plat, il se passe un truc, et un deuxième, et un troisième...»
«C'est la même chose pour un film. Il y a d'abord une première lecture, puis, quand on le revoit, quelque chose apparaît à chaque vision.»
Décidément, quoi qu'on fasse..."
j'ai vu le film!
sa reconstitution de la guerre des tranchées est extraordinaire,
pour le reste c'est du amélie poulain !
mais un film prenant , qui va s'acheminer vers des oscarisations !