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 waou... mina !

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nomad_land




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MessageSujet: waou... mina !   waou... mina ! EmptyDim 31 Oct à 17:49

L'Express du 01/11/2004
Europe
L'exception suisse

De notre envoyée spéciale, Jennifer Schwarz

Alors que le reste de l'Europe continentale est acquis à l'Union, la population helvétique campe dans son splendide isolement. Fédéralisme, démocratie directe, neutralité, prospérité économique... Nombre de Suisses sont convaincus d'avoir plus à perdre qu'à gagner dans une intégration. Jusqu'à quand?


Ce déjeuner d'automne 1989, Guy-Olivier Segond n'est pas près de l'oublier: «Votre pays est celui de tous les paradoxes et nous ne supportons pas cette posture qui consiste à ne rien faire comme les autres», lui avaient assené, entre la poire et le fromage, ses convives, les ambassadeurs des Etats membres de l'Union européenne. Ces propos, fort peu diplomatiques, visaient plus particulièrement le Parlement suisse, qui venait de délivrer d'importants crédits afin de commémorer le début de la mobilisation helvétique lors de la Seconde Guerre mondiale. Quinze ans après, l'ancien conseiller d'Etat radical et maire de Genève peste encore en évoquant cette humiliante leçon, qu'il estime méritée: «Fêter les débuts d'un conflit auquel nous n'avons pas participé quand tous les Etats concernés en célèbrent l'issue me semble représentatif de notre état d'esprit. On veut toujours se distinguer des autres...»

Les citoyens suisses sont persuadés qu'ils auraient plus à perdre qu'à gagner en s'engageant dans un processus d'intégration européenne


Une fois de plus, le fameux Sonderfall (cas particulier) avait frappé: cette volonté, ancrée depuis plus d'un siècle dans l'imaginaire helvète, de demeurer, au cœur du monde, une exception. La croyance, aussi, d'appartenir à un peuple élu...


Mais, à tort ou à raison, les 25 pays de l'Union européenne voient davantage ce pays récalcitrant à son égard comme un symbole d'arrogance et de défiance. Attentistes pendant plus de trois décennies, jugeant qu'il était toujours «trop tôt» pour adhérer, les citoyens suisses ont majoritairement opté, ces dix dernières années, pour une attitude franchement hostile à l'égard des institutions européennes, persuadés qu'ils auraient plus à perdre qu'à gagner en s'engageant dans un processus d'intégration.


En décembre 1992, le référendum portant sur l'adhésion à l'Espace économique européen fut rejeté à une très courte majorité - 50,3% - mais le taux de participation (78%) ainsi que le débat resteront dans les annales de l'après-guerre. «Rarement nous avions été aussi déchirés au cours de notre histoire récente, se souvient Pierre du Bois, professeur à l'Institut universitaire de hautes études internationales. Douze ans plus tard, évoquer ce sujet est devenu tabou, et la perspective d'une intégration s'en trouve reportée de quinze à vingt ans.»


Entre-temps, l'initiative lancée par le Nouveau Mouvement européen suisse (Nomes) en mars 2001, dénommée «Oui à l'Europe», et qui prévoyait l'ouverture immédiate de négociations avec l'Union en vue d'une adhésion, a été balayée par 76,7% des votants. Un message clair envoyé au monde politique, qui se contenta, dès lors, de faire le dos rond et de mettre toute son énergie dans le processus, engagé en 1994, de négociations par voie bilatérale. Portant un regard amer sur ses compatriotes, Guy-Olivier Segond explique ainsi ce virage manqué: «Le gouvernement n'a jamais assumé sa vocation de leader. Il se contente d'accompagner les évolutions de l'opinion publique.»


Et celle-ci de se laisser effrayer par les discours europhobes, alarmistes, et de partager la volonté de repli de la droite populiste, incarnée par l'Union démocratique du centre (UDC), qui a doublé ses suffrages, ces dix dernières années, à l'occasion des élections fédérales, et par son plus fidèle porte-drapeau, l'Action pour une Suisse indépendante et neutre. «Ces partis sont les seuls, aujourd'hui, à se faire entendre», déplore Almut Bonhage. Claquemurée dans le secrétariat général du Nomes, cette fervente militante prœuropéenne n'ose plus recenser les adhérents d'une association qui naguère soulevait l'enthousiasme: «Nous effectuons une longue traversée du désert. En outre, avec la crise économique, même les jeunes ne se mobilisent plus. Ils se recroquevillent, convaincus que les étrangers leur piquent leur boulot...»


La Suisse n'est-elle pas pourtant «européenne» par nature? Elle remplit déjà les conditions de convergence économiques et politiques et représente le deuxième client d'une Union qui demeure son premier débouché commercial. Elle compte près de 300 000 de ses concitoyens sur le territoire de l'Union et accueille plus de 800 000 ressortissants de celle-ci. Elle a assisté à la création d'une Europe à 6, 9, 12, 15 et maintenant 25 et ses instances politiques représentatives sont presque totalement gagnées à l'idée de l'Union. Elle bat, enfin, des records quant au nombre de journalistes accrédités à Bruxelles...


Pourquoi ce pays qui, au début des années 1960, semblait à deux pas d'une intégration a-t-il choisi de demeurer un camp retranché au milieu d'une Europe continentale entièrement acquise à l'Union? Dans son bureau du département de sciences politiques de l'université de Genève, le Pr René Schwok s'arrache chaque jour les cheveux: «Il existe toute une série de traditions profondément ancrées et de mythes encombrants pour l'avenir de la Confédération.»

Ni langue, ni culture, ni religion communes

Fruit de sept cents ans d'une histoire en partie similaire à celle de la construction européenne, constituée d'élargissements successifs et d'un approfondissement progressif en termes de coopération et d'interdépendance (unions douanière, monétaire, etc.) entre ses cantons, les Helvètes auraient même tendance à se sentir en avance sur l'Union européenne et à porter aux nues la réussite de leur système, «à nul autre pareil».


A la grande surprise des pays voisins de la Suisse, les Jurassiens, minorité francophone et catholique dans un canton germanophone et protestant, sont parvenus, en 1979, grâce à la souplesse du cadre fédéral, à obtenir leur autonomie, non sans avoir, il est vrai, posé quelques charges de dynamite au pied du Fritz, une statue illustrant la domination bernoise sur le canton, et fait confisquer des symboles patriotiques par le groupe Bélier... L'Union européenne aurait-elle, le cas échéant, la faculté de faire en sorte que ses diversités ne se transforment pas en antagonismes et que les revendications identitaires y soient satisfaites? Pour Uli Windisch, professeur de sociologie à l'université de Genève, la réponse est clairement non. Un non qu'il décline à longueur de colonnes de journaux, défendant bec et ongles l'idée d'une Suisse avant-gardiste, seule capable, pour le moment, de respecter les minorités et les régions qui la composent.


Sous-tendant son propos, le rejet violent de tout pouvoir central omnipotent et la crainte d'une dissolution de la Confédération dans un vaste ensemble peu démocratique servent d'assises aux partis et aux organisations les plus extrémistes du pays. L'UDC va même plus loin, estimant que les Etats membres de l'Union ont carrément «renié» leurs promesses: «Le simple citoyen n'est pas respecté, car ce n'est pas une Europe construite par les peuples, mais soumise à la volonté hégémonique de Bruxelles. Tout cela finira prochainement en guerre civile larvée sur tout le territoire», prédit même Oskar Freysinger, conseiller national UDC valaisan.


Vivement critiqué par les partisans d'une Suisse moins donneuse de leçons, ce sentiment de supériorité renforce, aux yeux des prœuropéens, le ciment national et favorise l'attachement à ces «valeurs refuges» que sont la souveraineté nationale, le fédéralisme et la neutralité. Au premier rang de ces «vaches sacrées», la démocratie directe, l'un des éléments fondamentaux d'intégration nationale dans un pays qui n'a jamais possédé de langue, de culture ni de religion communes. Sans parler de la schizophrénie qui s'est emparée de ses villes et de ses campagnes: le 26 septembre, tandis que le canton d'Appenzell rejetait, à près de 70%, la naturalisation simplifiée pour les étrangers de deuxième et de troisième génération, Genève glissait, elle, à 68%, un oui dans les urnes! Comme le dit l'expression typiquement suisse, dans Appenzell, tout est «chouquinet»: les paysages ressemblent à des décors de chemin de fer miniature - où les prairies sont vertes, les forêts profondes et les lacs paisibles - mais les femmes n'y ont obtenu le droit de vote que dans les années 1990 - sous la contrainte du Tribunal fédéral - et les étrangers n'y sont pas les bienvenus...


N'ayant enduré aucun traumatisme dans leur histoire récente, les Suisses n'éprouvent nulle nécessité à remettre radicalement en question leur indépendance. «Le désir d'Europe des élites allemandes, italiennes, françaises, néer-landaises a été engendré par les deux conflits mondiaux», note René Schwok. Tout comme les pays d'Europe centrale et orientale, ayant souffert du joug soviétique, ont compris qu'il y avait des sacrifices à faire pour préserver la paix... Epargnée par les invasions, les conflits internationaux, depuis 1848, la Suisse n'est pas prête à se passer d'une partie de ses acquis pour se sentir solidaire du continent européen. Ni à partager avec lui sa souveraineté. «Le fossé entre une Europe dévastée par la guerre et la Suisse, préservée, n'est jamais apparu aussi grand qu'entre 1945 et 1950. Peu nombreux alors étaient les Suisses tentés de partager leurs richesses avec des plus démunis à travers des formes de construction européenne», rappelle René Schwok.


Les citoyens suisses ont croisé leur destin sur les sentiers de la neutralité, secret, selon eux, de leur réussite en politique étrangère. A grand renfort de brochures d'informations distribuées dans tout le pays, l'UDC conforte les Helvètes dans cette idée. Un opuscule de juillet 2004, réalisé à l'occasion du 713e anniversaire de la Confédération, exploite le mythe de Guillaume Tell, qui «se battrait contre une adhésion à Schengen» et refuserait que l'on touche un tant soit peu au statut d'exception suisse.


Et pourtant, des études récentes le prouvent, moins de 10% des thèmes soumis à votation au niveau fédéral auraient dû être modifiés ou interdits, en cas d'adhésion à l'Union européenne. Les Suisses auraient donc pu continuer à utiliser le référendum et l'initiative populaire dans tous les domaines non couverts par le droit communautaire. Il en va de même en ce qui concerne la neutralité, qui a maintenu la Suisse à l'écart de l'ONU jusqu'en 2002: les décisions en matière de défense peuvent faire l'objet d'un veto de la part d'un Etat membre, tandis que six Etats de l'Union européenne sont officiellement neutres, dont deux, Chypre et Malte, ont, de surcroît, été exemptés de toute participation à la politique de défense de l'Union européenne...

Etre du côté le plus rentable

Des arguments auxquels les Suisses restent, pour la plupart, hermétiques. A l'approche de la dernière votation sur la naturalisation simplifiée, la Confédération s'est même transformée en laboratoire de propagande xénophobe et antimusulmane: sur les affiches électorales de l'UDC, des mains de toutes les couleurs s'arrachaient des passeports rouges à la croix blanche, pendant que sur ses tracts figurait un passeport helvétique avec la photo d'Oussama ben Laden... Une campagne qui a porté ses fruits, puisque, pour la troisième fois en vingt ans, le projet du gouvernement a été rejeté - à 57% - par la population. Et la législation suisse de demeurer l'une des plus restrictives d'Europe.


«Dans le même ordre d'idées, plutôt que de voir l'adhésion à l'Union comme un moyen nouveau d'exister, une partie de l'opinion publique appréhende une défaite définitive annonçant la fin de l'exception suisse», constate Eric Hoesli, ancien directeur et rédacteur en chef du Temps.


Ex-secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et négociateur roué du premier volet des «bilatérales», Jakob Kellenberger y voit, quant à lui, un calcul purement économique: «N'ayant pas suffisamment conscience du prix de la paix en Europe, de nombreux Suisses limitent leurs arguments aux aspects économiques de l'intégration européenne. Ils effectuent un bilan comptable des avantages et des inconvénients économiques qu'il y a à participer à l'Union. Or les adversaires de l'adhésion ont imposé leur vision: ils trouvent toujours des raisons supplémentaires pour estimer que le moment n'est pas venu. Et savent se faire entendre. Il faudrait donc des personnalités suffisamment fortes, dotées de moyens financiers importants, pour faire passer un message plus européen.» Autrement dit, susceptibles de casser les stéréotypes. Tel est le but de Hans Ulrich Jost, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Lausanne, pour qui la lecture des événements qui fondent l'identité suisse serait tout simplement mensongère: «Ce n'est pas la neutralité qui a sauvé la Suisse de la Seconde Guerre mondiale, mais sa capacité à être du côté le plus rentable, soit du côté du Reich.» Hanté par cette période de l'Histoire, qui a vu la Confédération garder intact son appareil productif au cœur d'une Europe en ruine et permis ainsi l'explosion de sa prospérité après guerre, Hans Ulrich Jost enfonce le clou: «Aujourd'hui encore, le Conseil fédéral n'est qu'une représentation folklorique et le pouvoir politique, en général, un trompe-l'oeil. Ce sont les grandes organisations faîtières qui tiennent les ficelles, telles l'Union suisse du commerce et de l'industrie ou l'Association suisse des banquiers. Notre politique étant réduite à des principes utilitaristes, avec le succès des bilatérales, nous n'avons aucun intérêt à intégrer l'Union.» L'écrivain Denis de Rougemont lui-même ne disait-il pas que le gouvernement suisse ressemblait au conseil d'administration d'une entreprise?

Essoufflement économique

Ayant dû ravaler leurs aspirations européennes durant ces vingt dernières années, un certain nombre d'hommes politiques et d'intellectuels partagent ce constat d'une Suisse avant tout pétrie d'intérêts économiques et financiers. Accusée de vivre en autiste, d'élever l'égoïsme collectif au rang de sport national, de croire que sa richesse est une valeur, la Suisse n'a jamais été tant critiquée. Désavouée par ses élites intellectuelles, persuadées que, au nom d'une conception rigide de la souveraineté, leur pays commet une erreur fondamentale: pendant que ses forces intellectuelles et créatrices s'ingénient à négocier les bilatérales depuis 1994 au titre de son indépendance, la Confédération reprend peu à peu l'acquis communautaire sans avoir aucune influence sur son élaboration.


Personnalité visionnaire, défenseur de l'adhésion depuis plusieurs décennies, Guy-Olivier Segond considère même que cette façon de jouer «les instituteurs du monde a écarté la Confédération de tout ce qui fut l'aventure d'une génération et l'a totalement isolée sur la scène internationale, lui préférant le culte d'une armée à laquelle plus personne ne croit et d'un secret bancaire à terme condamné».


Mais les milieux d'affaires peuvent regarder leurs contempteurs les plus acharnés d'un oeil rassuré... Les bilatérales I et II, accords sectoriels avec l'Union européenne acceptés en mai 2000 par 67,2% des Suisses, ont permis de couvrir 80% des domaines prioritaires de la Confédération. Au cœur d'âpres négociations, le dossier de la fiscalité des revenus fut particulièrement bien défendu par ses ambassadeurs. S'étant engagée à prélever un impôt - progressif jusqu'en 2011 - sur les revenus que tout citoyen de l'Union aura acquis grâce à une épargne en Suisse, l'équipe de négociateurs - dirigée, ironie du sort, par l'actuel chef du bureau de l'intégration - obtint le maintien du secret bancaire en Suisse, sauf en cas d'escroquerie fiscale. Cependant, la soustraction d'impôt échappe à cette règle: une simple omission de paiement ne suffira donc pas à lever le secret... «On les a couillonnés!» peut-on entendre dans les couloirs d'une banque genevoise. Ou encore: «Contrairement à la Norvège, nous avons réussi à avoir le beurre et l'argent du beurre!» Ce qui devient, dans le langage diplomatique de Johannes Matyassy, directeur de Présence suisse, organisme de promotion du pays à l'étranger: «Nous avons presque été trop bons...»


Belle réussite, en effet... Pourtant, à long terme, la Suisse n'a pas de quoi se réjouir. Après avoir occupé pendant un demi-siècle le poste très convoité de pays le plus riche du monde, abritant un tiers de la fortune offshore de la planète, sa prospérité montre des signes d'essoufflement: sa croissance demeure l'une des plus faibles d'Europe et son marché intérieur, trop peu ouvert à la concurrence, souffre de corporatismes et de positions de cartel. «Notre goût de la sécurité est si développé, conclut Guy-Olivier Segond, que nous préférons être sûrs de perdre plutôt que de prendre le risque de gagner.»


Post-scriptum
Une série de neuf accords (les «bilatérales») entre l'Union européenne et la Suisse, conclus en mai dernier, ont été signés le 26 octobre à Luxembourg. Ils portent notamment sur la libre circulation des personnes, la fiscalité de l'épargne et la lutte contre la fraude.
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